petite auto-critique des techniques toutes faites
A une époque où le buzz est roi, et où une mode chasse l'autre à la vitesse d'un tweet, la permaculture n'échappe pas à la règle. On ne compte plus les solutions miracles, les kits tout-en-un pour reproduire le jardin d’Éden sur votre balcon, l'autonomie en 15 jours en mélangeant les poireaux avec des radis ou comment sauver la planète avec des tours à patate, etc.
Les gens ont besoin de copier-coller facile à faire et à reproduire, des techniques, des outils qui demandent un minimum d'investissement pour un maximum de résultat (il va s'en dire). Les mythes du jardin du paresseux et de la permabondance-en-3-semaines ont la dent dure et sont, il est vrai très vendeurs.
Mais contrairement à ce qui pourrait rassurer l'homme moderne occidental, la nature ne peut être réduite à une équation mathématique simpliste et incomplète genre : Butte + paille = autosuffisance alimentaire + bonheur.
Comme j'ai coutume de le dire ce n'est pas compliqué mais c'est complexe : il y a tant de paramètres à gérer (équilibres et interactions physico-chimiques, influences macro et microclimatiques, synergies ou concurrences racinaires, état du sol, état du jardinier, etc) qu'assurer quoi que ce soit est très optimiste. De là certainement ce besoin avide de trucs faciles à reproduire parce que bon, faut que ça marche. Et vite. Et de là sans doute rapidement quelques désillusions...
Je parlais d'autocritique car effectivement je suis passé également par ces passage forcés, ma venue à la ferme des Escuroux avait justement l'objectif de tester toutes ces techniques et d'arrêter de parler comme un livre.
Je vous offre ici quelques conclusions issues de la pratique et de l'observation sur certains "marronniers" de la permaculture.
Amis qui cherchez des solutions prêtes à l'emploi, tournez casaque! Je viens semer le trouble et la désolation dans vos buttes autofertiles et des fois, même, je paille pas mon jardin.
Commençons tout de suite par la tête de gondole de la permaculture. J'en avais déjà parlé en long, en large et en travers dans très vieil article, (« droit aux buttes », excellent jeu de mot au demeurant mais article pas encore en ligne).
Je n’enlèverais rien de particulier mais au contraire, je l'aggraderais de certaines remarques. Après avoir soulevé des m3 de terre, réalisé nombres de linéaires de buttes dans les règles de l'art (ou pas), je me suis aperçu de plusieurs choses :
Un gros morceau. Après la mode des buttes, est arrivé la mode de la butte 2.0, forcément mieux que la butte 1.0, vous vous doutez bien. Largement débattu, je rajouterais plusieurs choses :
Après avoir essayé maintes fois et de différentes façons, je n'observe pas pour ma part de différences flagrantes sur la pousse des végétaux (mes plus vieilles ont 7 ans). Si différence il y a, ce qui est possible, il faudrait faire alors un protocole d'expérimentation ad hoc avec témoins, etc. Elle n'est pour ma part pas suffisante pour justifier tout le bazar nécessaire à sa mise en œuvre.
Pire, j’ai voulu voir l’état de décomposition du bois (déjà ancien pourtant) qui était dans certaines buttes depuis 6 ans tout de même. Résultat ? j’aurais pu lancer un barbecue avec. Aucune ou très peu de décomposition. Pour l'effet "éponge" on repassera. La logique veut qu'en l'absence d’oxygène, la décomposition du bois est TRES ralentie, voire stoppée. C'est une bonne méthode pour obtenir du charbon naturel ou du pétrole, production potentiellement intéressante mais il reste à optimiser le process...
Quand je n'arrive pas à me faire un avis sur quelque chose, je me pose toujours la question de savoir comment tel ou tel processus se passe dans la nature, pour essayer d'avoir un retour d'expérience grâce à un labo riche de 4 milliards d'années en recherche et développement. Force est de constater que le bois tombe SUR le sol, sauf en cas de glissement de terrain.
Une autre boussole fondamentale reste les principes de la permaculture, en particulier celui qui parle de "solutions lentes et de patience" et "du minimum d'effort pour le maximum d'efficacité ". Raté.
Technique devenue incontournable pour la protection du sol, et pour cause. Néanmoins : Avez-vous remarqué la prépondérance des problèmes de limaces ces dernières années, devenus proportionnels à l'engouement national pour la couverture du sol ? Cette problématique peut devenir totalement ingérable en très peu de temps. Quelques pistes :
Remplir son capital nourricier dans le sol, c'est bien. C'est l'objectif même du mulch : amener un maximum de matière organique de bonne qualité qui servira de "frigo" en éléments minéraux, en eau, etc. Mais cette phase d'humification du sol, si vitale qu'elle soit, ne sert pas à grand-chose si les plantes ne peuvent en profiter convenablement. La phase opposé est la minéralisation : la décomposition de la matière organique et donc la libération de tous les éléments qu'elle contient (la plante ne les absorbe pas en tant que tel, ils sont solubilisés par les bactéries). Cette phase de minéralisation est, dans l'inconscient collectif des permaculteurs, le diable personnifié, responsable de la désertification sur toute la planète. En effet on voit de suite l'image des sols agricoles désertiques, sans structure, sans vie et vidés de leur substance. Blâmer uniquement la minéralisation serait un peu simpliste si on ne prenait pas en compte que l'un ne va pas sans l'autre : humification et minéralisation sont les deux faces opposées du même système nourricier, contraires et pourtant complémentaires telles le ying et le yang.
En effet, on n'a pas de scrupules à vider un frigo si on le rempli régulièrement, ce qui est le cas avec le mulch (et d'autres techniques). De même qu'il ne sert à rien d'apporter des mètres cubes d'humus de toute sorte si l'on ne peut en faire profiter les plantes.
Comment "minéraliser" cette matière organique ? attention ça pique :
Sans pratiques minéralisantes, si le sol a une bonne structure et est plein de vie, son potentiel de fertilité est largement inexploité. Et en particulier pour des légumes annuels qui sont TRÈS gourmands.
Alors ne soyons pas les capitalistes de l'humus ! Comme l'argent, la matière organique et ses différents étapes de décomposition est un flux qui doit circuler, rentrer dans le système, en ressortir et être toujours dans une dynamique. L'idée n'est pas de la capitaliser car quel est l'intérêt d'une tourbière pour faire pousser l'abondance? On peut se permettre de prendre à la Nature, à la condition sine qua non que l'on lui redonne régulièrement.
L'interventionnisme à tout crin est une résultante du besoin de l'homme de se rassurer face à une Nature qu'il ne comprend pas trop. Cette anthropisation permet parfois il est vrai des miracles, mais n'est pas toujours pertinente.
Une fois de plus, la diversité est le but mais aussi l'outil :
Après quelques années d'expériences, mon jardin en permaculture ressemble à ... pleins de jardin différents :
La diversité est la clé. La dynamique, c'est la Vie ! Pas de solutions données, pas de "kit miracle" mais un maximum d'espaces différents et des cultures que je tente de placer au meilleur emplacement suivant le contexte (et l'année !). Attention, un maximum de flops et de ratages également ! Mais qui me permettent peu à peu de gagner en connaissances et de m'améliorer sans cesse. Il paraît que c'est en se plantant qu'on pousse...
Alors attention à se qu'on lit et ce qu'on entend partout. Remettez tout en question (y compris ce que je raconte). La permaculture est bien trop libertaire et organique pour être un approchée telle un dogme. Ne sous-estimez pas tout ce que vous pouvez apprendre par vous-même, l'autonomie sur le long terme commence peut être avant tout par là...