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  • articles de fonds,
  • techniques,
  • retours d'expériences,
  • réflexions, partages divers,

 

C'est une quantité non négligeable de contenus originaux, une base solide pour comprendre les fondamentaux et bien débuter en permaculture et agroforesterie. 

 

Les posts furent également le préalable à la rédaction du livre "Cultiver dans le monde de demain" !  Nous partageons également sur les réseaux sociaux, suivez-nous !

Introduction au Design : comprendre la dynamique du Vivant

17/01/2024

Introduction au Design : comprendre la dynamique du Vivant

Comme rapidement esquissé ici et là, la permaculture n'est PAS une méthode agricole, mais bien une méthode de conception de systèmes humains basés sur le fonctionnement des écosystèmes naturels. Ok, quand on a dit ça il reste des trous dans la raquette... C'est pourquoi je vais vous résumer ici succinctement le pourquoi de cette méthodologie qui est l'essence même de la permaculture, bien loin des techniques-phares et de l'abondance-en-trois-semaines toujours bien vendue sur internet...

Je vous propose quelques notions de systémique qui me semblent nécessaires pour appréhender de manière globale l'objectif du design. Car il s'agit en premier de comprendre comment nos systèmes naturels fonctionnent pour mieux les imiter. Ça reste théorique mais je vais tenter de ponctuer d'exemples concrets qui devraient, je pense, vous parler.

    

 

« Le fondement scientifique du design en permaculture repose sur la branche de l’écologie qu’on nomme « l’écologie des systèmes ». D’autres disciplines intellectuelles, dont la géographie physique et l’ethnobiologie, ont contribué par des concepts qui ont été adaptés aux principes de design. […] Je soutiens que leur absence ou leur apparente contradiction face à la culture industrielle moderne n’invalide pas leur pertinence universelle dans l’évolution vers un futur à décroissance énergétique. »
    - David Holmgren, co-concepteur de la permaculture

 

Une vision systémique

 

 

Inspiré des travaux de nombreux écologues dont Howard T. Odum, les pionniers de la permaculture abordent une approche systémique. C'est à dire un cadre conceptuel où ils déterminent un ensemble d'"éléments" en interactions les uns avec les autres, tantôt positives (on parle alors de synergies), tantôt négatives. Le tout formant un "système", plus ou moins ouvert.

C'est ce qu'on peut voir sur les représentations poussives ci-dessus. Attention, c'est TRÈS schématique et incomplet, je n'ai pas fait mention ici des boucles de rétroactions et autres lois de la Thermodynamique.

Ce cadre est beaucoup utilisé en écologie, mais ne parle-t-on pas d'"écosystèmes" ?

L'idée étant de s'inspirer de la Nature, les caractéristiques systémiques sont les suivantes :  

  • des éléments en grande quantité : animaux, plantes, eau, air, arbres, insectes, batraciens, bactéries, champignons, etc   
  • des interactions très nombreuses, fortes, échelonnées dans le temps et l'espace, avec une très nette préférence pour les synergies : prédation, protection climatique, alimentation, gîte, filtration de l'eau, maintien des berges, etc.  
  • un système "fermé" : à la photosynthèse près, il ne rentre aucune autre énergie pour faire fonctionner un écosystème naturel. Ce dernier est donc relativement autonome et très productif en produits et en services divers. On dit que le besoins des uns sont le produits des autres et que tout est continuellement transformé, recyclé.   
  • Mais c'est également un système "ouvert" dans le sens inclusif du terme. En effet plus il y a d'éléments, plus ils vont apporter de nouvelles fonctions, produits et services qui vont augmenter la productivité globale.   
  • De plus, cette capacité merveilleuse à "boucher les trous" va permettre d'augmenter la résilience, car chaque fonction ou élément vont pouvoir se trouver remplacés si jamais ils venaient à disparaître (prédation, changement climatique, etc).

 

C'est donc le Graal à retrouver, mais comment imaginer (que ce soit un jardin, une ferme ou un balcon par exemple), "concevoir" quelque chose qui puisse se rapprocher d'un écosystème naturel avec tous ses avantages et sa complexité ?

C'est le rôle de la conception en permaculture ou du Design.

 

Tiens, un exemple strictement opposé qu'il ne faut plus faire (c'est globalement ce qu'on fait depuis la guerre). Prenons l'exemple d'un système industriel ou "conventionnel" :

 

  • c'est un système simplifié à l'extrême, "optimisé" (peu d'éléments)   
  • des interactions faibles et unidirectionnelles, limitées à un temps court
  • un système ouvert : intrants (énergie, matières), sortants (pollutions, déchets).
  • Donc très dépendant de son contexte, d'autant qu'il n'y a pas d'inclusivité et donc rien pour remplacer si jamais.
  • Mais attention, c'est un système hyperproductif dans des conditions données mais très fragile, peu résilient et totalement dépendant de l'extérieur pour fonctionner.

 

Soyons clairs, un tel système est une aberration qui serait mort-né dans la Nature et il ne dure qu'au prix d'injections massives et constantes d'énergie et de matières. Son bilan énergétique est fondamentalement déficitaire et son bilan écologique une abomination.

Il est grand temps de changer nos méthodes.


Feedbacks et rétroactions

 

 

Ces dernières, déjà évoqué plus haut, sont la résultante des interactions et permettent d'accélérer ou de freiner tout changement. On trouve :

 

  • des interactions positives, dites de renforcement : l'effet "boule de neige". Une action, au départ peut-être anodine, induit une évolution qui auto-entretien et développe cette action jusqu'à un point de non-retour modifiant fortement le système de départ. C'est l'exemple de la fertilisation chimique qui, en minéralisant l'humus et en détruisant la vie du sol, le vide de sa substance et donc oblige à toujours plus de fertilisation. C'est le cas aussi du motoculteur utilisé pour faire disparaître les mauvaises herbes, qui multiplie de fait les racines par son action mécanique et remonte les graines à la surface. Donc l'utilisation du motoculteur fait exploser la quantité de "mauvaises herbes" et donc accroit le recours... au motoculteur. Énormément d'actions humaines entraînent ce genre de cercles vicieux et il est important d'apprendre à les identifier pour mieux les éviter ou les inverser !

 

  • des interactions dites de compensation ou de rééquilibrage : elles maintiennent les systèmes en équilibre, les facteurs nécessaires à la Vie. Lorsqu'une perturbation arrive, ces rétroactions induisent une réaction contraire, tirant le système vers l'équilibre. La manière dont notre corps s'adapte en est une belle illustration : froid, chaud, notre façon même de marcher est une adaptation au déséquilibre auquel notre corps a appris durant le jeune âge à mobiliser des mécanismes adaptatifs. Autre exemple : la Nature a horreur du vide et comble naturellement chaque niche devenue vacante, car avec chaque élément arrivent des synergies supplémentaires, augmentant la résilience et la complexité .

 

Le mythe de " l'équilibre"

 

 

Cette notion reste un fil rouge mais non un but. Car l'équilibre n'existe pas dans la Nature, ou alors très fugacement et pas de manière durable. En revanche la recherche d'équilibre est le moteur thermodynamique du vivant.

 

Reprenons l'exemple de la marche : quoi de plus beau que la stature fière et volontaire d'un homo sapiens qui marche le regard fier. Elle n'est pourtant qu'une adaptation à un déséquilibre permanent, qui induit une action dont découle des interactions.

Cette notion n'a pas cours dans la Nature car tout est changement et impermanence. Prenons l'exemple des plantes bio-indicatrices. On remarquera que les groupes floristiques changent et évoluent tous les ans, au fil des modifications amenées par le jardinier ou plus simplement par le climat. Ce dernier modifiera chimiquement (de part la concentration en différents éléments) la solution du sol, ce qui favorisera la germination de telle ou telle espèce spécifique.

 

C'est l'espace-temps tronqué de l'humain court-termiste qui voit de "l'équilibre" à toutes les sauces et en fait même un objectif sacré alors que c'est une chimère. Si on vous parle d'équilibre en permaculture, c'est faire fi du fonctionnement intrinsèque de la Nature. Et c'est fort dommage.

 

Réapprendre la complexité

 

Le réductionnisme méthodologique contemporain nous pousse à voir les détails au lieu de la globalité. Et ce n'est pas anodin. Une sorte de "mise en silos" de la connaissance des choses, un cadre conceptuel valorisant les spécialités (et les spécialistes) au détriment des interactions entre les éléments. C'est pourtant dans les synergies qu'est la plus-value des systèmes complexes.

Un de mes mantras est "le total est supérieur à la somme des parties", ce qui implique qu'on trouve dans les relations, interactions et synergies plus que la simple addition des éléments composant le système.

Et ce sont dans les zones de "bordures", d' écotones en écologie, c'est à dire la rencontre entre plusieurs milieux (forêt, prairie, zone humide, air, mur en pierre etc) qu'on trouve naturellement le plus de dynamique naturelle.

C'est donc la valorisation, ou la création de ces écotones qui va favoriser la multiplicité des éléments, donc des fonctions et des rétroactions. Rendre le plus dynamique possible chaque niche écologique sera donc la garantie d'un bon fonctionnement de notre système à long terme, avec la possibilité que les besoins des uns soient remplis par les produits des autres, et ainsi créer un système "fermé" dans le sens autonomique du terme.

Comment gérer cette complexité ? Climat, sol, faune et flore existantes, objectifs, ressources, limites, économie, social, tout est sujet à casse-tête. C'est là que le design intervient.

    "Les principes de la permaculture se concentrent sur le design réfléchi des systèmes intensifs à petite échelle qui sont efficaces au niveau du travail et qui utilisent des ressources biologiques au lieu des combustibles fossiles. Le design met l’emphase sur les connexions écologiques et les boucles fermées pour le matériel et l’énergie. Le noyau de la permaculture est le design ainsi que les relations de travail et les liens entre toutes choses." Bill Mollison, co-concepteur de la permaculture

 

Conclusion

 

Autrefois existait ce qu'on appelait le bon sens. Très empirique, issu de l'observation, de tests et d'une bonne connaissance du fonctionnement des systèmes naturels, il permettait de créer de petits systèmes productifs et résilients, sans créer de déchets et en recyclant tout ce qui pouvait l'être. Plus d'un demi-siècle de rouleau-compresseur de l'agriculture industrielle nous a fait à peu près tout perdre de ce bon sens. Il suffit de jeter un œil sur certaines parcelles pour comprendre qu'il est parti depuis longtemps sans donner d'adresse...

Le design nous donne une méthodologie puissante pour retrouver ce bon sens et recréer enfin l'abondance en "bouclant la boucle" (car vous avez compris que c'est notre objectif en même temps que l'outil principal de la permaculture). C'est ce que nous allons voir dans le prochain article.