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L'écriture de billets de blog est l'ADN de Prise de Terre  depuis bientôt 15 ans  :

 

  • articles de fonds,
  • techniques,
  • retours d'expériences,
  • réflexions, partages divers,

 

C'est une quantité non négligeable de contenus originaux, une base solide pour comprendre les fondamentaux et bien débuter en permaculture et agroforesterie. 

 

Les posts furent également le préalable à la rédaction du livre "Cultiver dans le monde de demain" !  Nous partageons également sur les réseaux sociaux, suivez-nous !

Peut-on vivre de la permaculture ?

19/01/2024

Peut-on vivre de la permaculture ?

Le besoin d'absolu est une caractéristique de notre époque. Besoin de se distinguer par le haut, acte militant désespéré, le "plus perma que moi tu meurs", par exemple, est formidablement symptomatique.

Froncements de sourcils quand j'explique que j'entretiens mes accès à la débroussailleuse, une zone de mon potager n'est pas paillée et on me le fait remarquer, j'ai installé des plantes non indigènes et on me parle de concurrence avec les végétaux locaux, qu'il faut laisser ronces et orties etc. Voire disparaître totalement...

La finalité de ce qu'on me propose, c'est la friche. Mais mon objectif à moi, c'est la production. C'est même le premier principe de permaculture ! Le but initial de cette dernière est de mettre en place un écosystème CULTIVE, avec une finalité pour l'Humain. On ne sauvera pas le monde le ventre vide et charité bien ordonné commence par soi-même. C'est pour ma part un profond sujet de réflexion et l'argent étant le nerf de la guerre, la légitimité de toute chose se mesure par et pour lui.

 

 

Alors peut-on vivre de la permaculture ? C'est la question qu'on me pose le plus souvent et c'est toujours un sujet épineux, d'autant que (et je l'ai toujours dit explicitement), le système mis en place chez moi n'a pas vocation de production économique, mais avant tout d'autonomie alimentaire et d'expérimentation. Vous allez comprendre pourquoi.

 

Permaculture VS agriculture

 

On compare tellement souvent les deux, alors que c'est tellement "incomparable". Peut-on mettre sur le même niveau ces 2 systèmes aussi différents ? Non, et pour plusieurs raisons :

 

    Nous ne sommes absolument pas sur les mêmes intervalles de temps :

L'agriculture se base sur des cultures d'annuelles et la production commence de manière optimale dès l'année N. Un système en perma va mettre des années à s'installer. Déjà il est basé sur des plantes vivaces et ligneuses qui pour certaines mettent plusieurs années à fructifier, ensuite c'est un système que l'on va tendre vers l'équilibre avec des erreurs, des compensations, rééquilibrages en cours de route etc. L'optimum d'un système issu d'un design en permaculture mettra des années à s'installer, voire jamais d'ailleurs. Le premier écueil s'installe donc ici : quand on veux s'installer paysan, cet argument à peu de chance d'orienter favorablement l'opinion du crédit Agricole ou de la Chambre d'Agriculture. Et je n'ai pas parlé de l'année d'observation nécessaire avant de lancer son système... Ensuite... il faut vivre ! et tout de suite. Même les permaculteurs paient leurs factures, certains ont même des voitures et des loisirs (une honte). On voit donc que la radicalité doit s'assouplir pour pouvoir dégager un revenu rapidement et on doit donc penser en terme de compromis, en tout cas dans un premier temps.

 

 

    Un marché totalement biaisé :

L'agriculture est massivement subventionnée, les agriculteurs sont devenus les premiers fonctionnaires de l'Europe. La moitié du budget européen part dans les subventions agricoles, soit un budget de 408,3 milliards d'euros sur la période 2014-2020. La légitimité des aides dépend de la participation complète ou partielle au système que ce soit par le processus du BPREA (Brevet Professionnel Responsable d'Exploitation Agricole), des DJA (dotation jeune agriculteur), de la participation ou non au syndicat majoritaire (plus ou moins conditionné par la DJA d'ailleurs...).

Les prix des matières premières agricoles sont fixés à la bourse de Chicago, largement spéculés par des traders et des algorithmes pleins d'amour, les centrales d'achats, coopératives et autres grandes surfaces de distributions prennent des marges gargantuesques, obligeant les producteurs a toujours plus de production face à des prix qui s'effondrent pour arriver à dégager quelques miettes de cette farce.

C'est un système crée par et pour l'agriculture industrielle. Et vous voulez mettre les produits de votre jardin d'Eden dans ce marché concurrentiel ?

 

    Des finalités totalement opposées :

L'objectif de l'agriculture "conventionnelle", pour simplifier éhontément, est la production d'aliments pour l'Humain ou ses animaux et, in fine, d'un surplus économique et monétaire. Point. Et pour cet objectif, tous les moyens sont bons : intrants chimiques, énergétiques, monétaires (crédits, subventions).

L'objectif de la permaculture est surtout vivrière : production d'aliments pour l'Humain, mais aussi pour les insectes, les oiseaux, les mammifères, la Vie du sol, les plantes etc... C'est la création de biotopes et de microclimats favorables, de fertilité, de fixation du carbone dans le sol, de réparation du cycle de l'eau et toute une liste de services écosystémiques innombrables et pour lesquels il n'y a ni considérations ni rétributions alors qu'ils PROFITENT A TOUS.

 

 

    Le problème des intrants :

L'agriculture conventionnelle cache son absence de compétitivité et externalise ses coûts véritables grâce à une batterie d'intrants divers et variés, situés tout au long de la chaîne de production : eau, pétrole, alimentation industrielle, produits chimiques (insecticides, fongicides, désherbants, conservateurs, antibiotiques). Mais également le matériel agricole, les crédits à la banque et surtout les subventions, voir plus bas. Ces artifices permettent de produire toutefois des plantes (malades) et des animaux (malades) sur des sols malades voire morts. Doit-on prendre encore en compte l'énergie grise dégagée dans la production de ces intrants et des dégâts irréversibles sur la biosphère pour se rendre compte du gouffre économique que représente la soi-disante "compétitivité" de cette agriculture?

Le problème c'est que ces coûts ne sont pas réellement quantifiés et ne participent que très peu à l'élaboration des prix agricoles (voir plus haut). Alors que des systèmes basés sur des principes agroécologiques et de conception permaculturelle sont plus productifs, économes, régénératifs et j'en passe, tout est fait pour que l'agriculture conventionnelle soit plus rentable. Pour l'instant ?

 

    Des produits de qualité mais pas adaptés au marché :

La productivité d'une forêt-jardin par exemple est extraordinaire mais reste de l'épicerie fine : plantes aromatiques, légumes vivaces inconnus ou fruits bizarres, vivaces dont la production est indirecte (pollinisation, pompe à minéraux, fixateur d'azote), plantes à rhizomes biscornus, fruits plus petits, voire un peu abîmés, vignes et lianes qui poussent dans les arbres, etc...

Les dates de récoltes sont de fait très étalées, la récolte est rendue plus délicate et plus coûteuse en main d’œuvre et en technicité. Comment mettre en concurrence économique de telles productions telles avec des producteurs de fruits ou de légumes qui vendent des produits standardisés se déversant par centaines de tonnes sur les marchés ?

 


Une agriculture alternative a besoin d'un marché alternatif

"Être adapté à une société malade n'est pas un signe de bonne santé mentale".

Cette phrase célèbre de Krishnamurti s'adapte à merveille pour la production agricole. Si l'on veut rentrer dans le "système" il faut en accepter les lois et les conséquences, qui sont l’antimatière de l'éthique de la permaculture : Prendre soin de la Terre, Prendre soin des Humains, Redistribuer les surplus. On ne peux en être plus loin.

Vouloir concilier les 2 me paraît schizophrène ou alors rendre le mot "permaculture" quelque peu racoleur... On ne vend pas que des produits en permaculture, on vend aussi une philosophie, une éthique et un paradigme difficilement soluble dans le gloubiboulga néolibéral.

D'ailleurs, si on veut être un vrai puriste, un ayatollah de l'éthique permaculturelle, on n'utilise plus du tout l'argent. Car le processus même de création monétaire tel qu'il est actuellement est une création ex nihilo, basée sur de la dette et donc de l'intérêt. Ce qui, en étant simpliste, légitime et rend indispensable notre fameuse "croissance" qui dévore le monde depuis si longtemps.

Heureusement il existe un marché local, bio, participatif et engagé pour acquérir une terre, financer un projet, écouler ses produits transformés ou non : financements participatifs, espaces-tests agricoles, AMAP, marchés paysans, groupements de producteurs et j'en oublie. (quelques liens en fin d'article). Ça reste "alternatif" mais n'est que le début de l'émergence d'une véritable économie circulaire faite par et pour les citoyens. Et ça, c'est perma.

 

De la différence entre un outil et une finalité, ou la voie du milieu

La permaculture n'est pas une technique agricole. Je sais c'est dur, et le comprendre éclaire beaucoup de choses. Dire qu'on est permaculteur ne veux pas dire qu'on fait des buttes avec de la paille ou qu'on mélange des légumes et des fleurs. Cela veut dire qu'on est concepteur de systèmes autonomes, productifs et vertueux (que ces derniers soient agricoles, humains, économiques). Elle reste un outil de transition formidable pour créer une autre société pour demain. Le problème, c'est aujourd'hui.

Et aujourd'hui nous sommes dans une société financiarisée à outrance où l'argent est l'alpha et l'oméga. Alors on peut être économe, recycler, faire du covoiturage, faire son jardin, avoir des poules, ne nous noyons pas dans un verre d'eau : si on veux monter un projet agricole viable, il faut des liquidités, et des rentrées régulières et rapides, on ne vit pas que de salades et de framboises !

Mais ce n'est pas un écueil, si ces paramètres sont pris en compte dans la ventilation des travaux et les prévisionnels du design, rien n'empêche de faire des légumes annuels dans un premier temps en attendant que les petits fruits poussent et produisent, en attendant que les fruitiers poussent et produisent, etc... C'est un système dynamique, modifiable et perfectible qui peut donner un grand nombre de produits différents. L'avantage de la polyculture sur la monoculture...

Comme dit plus haut, appliquer la permaculture stricto sensu dès le départ risque de faire un capotage magistral niveau économique. Elle doit être un guide, une ligne rouge, une boîte à outil. On doit faire la conception de son projet, c'est un outil indispensable. On doit garder à l'esprit les principes de la permaculture comme cadre global et on obtiendra un système pertinent, autonome et fertile. Mais n'oublions pas que les effets écosystémiques d'un bon design en permaculture ne se feront sentir qu'au bout de plusieurs années. Ou pas, d'ailleurs. La Terre-Mère-Nourricière a ses raisons que la raison ne connaît pas et comme il faut plusieurs années pour faire refonctionner un sol en bio après du tout-chimique, il y a certainement un certain délai avant que les besoins des uns soient remplis par le produits des autres, comme il se doit. Cette temporalité n'est plus du tout celle de l'Homme occidental néolibéral qui doit payer ses factures !

Même si la permaculture nous laisse à tous des étoiles dans les yeux et des raisons d'espérer, le non-dogmatisme doit être de vigueur. Car il n'y a rien de moins ouvert que la fermeture d'esprit, et comme disait Rolland Barthes : "Il n'y a pas de grande œuvre qui soit dogmatique".

Il faut accepter de penser en terme de compromis et d'évolution vertueuse dans le temps. Un des principes de la permaculture est d'"utiliser des solutions petites et lentes" pour éviter de se casser, justement, la figure en beauté. Il sera toujours temps à l'avenir d'adapter son système, d'affiner ses stratégies et de s'approcher d'un équilibre naturel et économique. Pour que la sobriété heureuse ne se transforme pas en précarité subie...